Bulletin Numéro 49 - Vider les théâtres pour remplir les églises?
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Vider les théâtres pour remplir les églises?
Question de démontrer que l’on pourrait être catholique et aussi obscurantiste que les musulmans, des groupes intégristes ont entrepris d’interdire à Paris et à Toulouse la représentation de deux pièces de théâtre, Sur le concept du visage du fils de Dieu de Romeo Castellucci et Golgota Picnic de Rodrigo Garcia.
Dès le 20 octobre, alors même que leur demande d’interdiction devant la Justice venait d’être rejetée, ils manifestaient contre le spectacle de Castellucci.
Premier problème, comme dans l’affaire du Piss Christ de Serrano, il n’est nullement évident que ces pièces de théâtre soient blasphématoires. Si Garcia est athée, Castellucci déclare "Un jour je crois, le lendemain, non mais j’ai toujours été fasciné par l’image du Christ … J’aime énormément la Bible, qui est un livre de beauté formelle extraordinaire"(1).
En fait, c’est assez le même problème que pour Serrano. Bien évidemment les deux dramaturges utilisent des formes non conventionnelles, à l’opposé de l’image hiératique donnée depuis des siècles par l’Eglise.
Ainsi chez Castellucci, Jésus est confronté trivialement à la merde mais celle-ci fait partie du monde.
Chez Garcia, la scène est couverte de (vrais) pains à hamburgers, piétinés ou régurgités par les acteurs.
En fait, Garcia se sert du Christ et sa Passion pour dénoncer la souffrance consommatrice d’aujourd’hui(2).
Plusieurs propos du Christ désabusé ne se concilient pas avec la représentation traditionnelle du Christ. Mais depuis quand ne peut-on dire le contraire du Christ, ou même le détourner ? C’est une affaire jugée depuis deux siècles !
Le directeur du théâtre concerné, Jean-Michel Ribes, n’y va pas par quatre chemins "Quel est-donc ce sacré qui tremble devant le rire, que les artistes font vaciller ? … Quel est ce Dieu qui est blessé par une liberté de création capable de le contredire ? Il n’existe que dans la tête vide de petits fascistes …"(3).
Voulant se montrer raisonnables (ils reconnaissent que la pièce de Castellucci n’est pas blasphématoire), les membres d’un collectif de jeunes prêtres et d’artistes tentent de revenir sur la question du respect ("le Fils de Dieu n’est pas un concept : c’est un ami, un frère"), du refus du blasphème gratuit(4).
Il ne parvient pas à cacher son conservatisme répressif : il faut réagir quand les convictions chrétiennes sont insultées, mais pacifiquement (ça doit vouloir dire via la Justice).
Le prétexte est que sinon la société va se scinder en plusieurs groupes.
Mais comment ceux dont la liberté est opprimée pourraient-ils communier en une société consensuelle ?
Le rôle de l’extrême-droite
La filiation politique des protestataires est des plus évidentes, c’est l’extrême-droite sous sa forme caricaturale.
En tête, on semble trouver le Renouveau français (RF), déjà actif à Avignon. Emmené par des noms à particule, il est sous la coupe de l’abbé Xavier Beauvais. On a pu dans son église parisienne l’entendre se réclamer de Léon Degrelle(5).
La RF n’est autre que le "groupe choc", le "service action" de l’Institut Civitas. Ce dernier est emmené par un bruxellois, Alain Escada, bouquiniste schaerbeekois qui en est le secrétaire général. Par ailleurs, il est à la tête de Belgique et chrétienté et responsable d’une revue fascisante.
Il est photographié à Rennes le 10 novembre, à la tête d’une protestation contre la pièce de Castellucci(6).
Par un côté, c’est inquiétant mais par un autre ce ne l’est pas : il faut bien avouer qu’il n’y a pas là grand ressort intellectuel, plutôt le signe du sursaut d’un groupe en difficulté, chaque jour plus coupé de la réalité.
L’épiscopat français
Le plus intéressant dans cette question, ce sont probablement les querelles intestines de l’épiscopat français.
Certes pas mal d’évêques soutiennent les manifestants, comme ceux de Vannes, de Bayonne, sans parler de celui d’Avignon. Mais l’Eglise a condamné les violences des nationaux catholiques tout en réclamant "une liberté respectueuse du sacré"(7).
Certains évêques sont perspicaces. Ainsi l’archevêque de Rennes, Mgr Pierre d’Ornellas, reconnaît qu’ "il n’y a pas de christianophobie dans cette pièce de théâtre (celle de Castellucci)".
Il incite au dialogue avec les artistes mais s’empresse d’ajouter "Personne n’a le droit au blasphème, personne n’a le droit de blesser la conscience d’autrui ; c’est contraire à la dignité humaine"(8).
Son collègue de Soissons, Mgr Gérard, veut un dialogue sans illusion mais ne veut pas "sortir le glaive".
Mais d’autres évêques et non des moindres sont moins empruntés. Ainsi Mgr Pascal Wintzer, président de l’observatoire Foi et culture pour qui "notre rôle n’est pas de décerner un label de christianisme à une réalité artistique et surtout « christianophobie , c’est brandi comme un slogan. Quand il n’y a plus de pensée, on trouve des mots chocs"(9).
Le tout était dit dans une conférence de presse présidée par le porte-parole des évêques de France.
En clair, l’Eglise de France a du mal à se trouver des cadres aptes à faire face au monde actuel. Elle est partagée entre les conservateurs obtus, les opportunistes, les réalistes et ceux qui sont de plain pied avec la vie intellectuelle et artistique.
Selon toute apparence, les conservateurs se sont pour une fois fait mettre au coin, gentiment peut-être mais au coin tout de même. Je ne suis pas sûr que Rome soit d’accord mais le signal d’un débat authentique est enfin donné même si la tentation de l’hégémonie reste présente.
Qu’il est lourd le poids de l’histoire !
***
(1) Intervew dans Le Monde du 27 octobre 2011.
(2) cf. Brigitte Salina dans Le Monde du 9 décembre 2011. L’ouvrage est facile à trouver dans les « bonnes librairies » (Rodrigo Garcia, Golgota Picnic, traduit de l’espagnol par Christilla Vasserat, Besançon, Les Solitaires Intempestifs Editions, 2011, 78 pp. 12 euros)
(3) Le Monde du 5 novembre 2011
(4) Le Monde du 5 novembre 2011
(5) cf. Abel Mestre et Caroline Monet, Le Monde du 28 octobre 2011
(6) Le Soir des 26 et 27 octobre 2011
(7) Le Soir du 27 octobre 2011
(8) cf. Stéphanie Le Bars, L’épiscopat réfléchit à l’attitude à adopter face aux œuvres "blasphématoires", Le Monde du 11 novembre 2011
(9) Didier Arnaud, L’Eglise sermonne ses ouailles trop vindicatives, Libération du 17 novembre 2011.