Bulletin 59 mai 2017 - Eloge de l'athéisme
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Bulletin 59 mai 2017 |
Quand on ne peut plus critiquer des lois |
Eloge de l'athéisme |
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Marc Scheerens
Hier (ou avant-hier ?)
«Comment vivre ?» et «Pour quoi vivre ? Ces inquiétudes habitent les humains. Elles titillent les intelligences depuis des lunes. Elles ont engendré des comportements, des us et coutumes et nos cultures. Qui peut, pourtant, affirmer qu’il n’y aurait qu’une seule réponse possible, un seul comportement valable ? Cela impliquerait la découverte et la soumission à un déjà-là contraignant. La liberté de choisir un sens personnel à l’existence serait restreinte.
Après la sortie du ventre maternel, certains humains manifestent déjà un vouloir non-vivre ! Même conçus par un acte volontaire et amoureux, ces débutants ne voient pas pourquoi ou comment vivre. Ils mettront parfois des années à en finir avec ce "cadeau" qu’ils ne peuvent pas gérer : ce sera l’autisme, l’aboulie ou le suicide, au grand désarroi de leurs géniteurs qui avaient cru bien faire. Pour chacune et chacun, encore dans l’inconscience, vivre est la conséquence d’une décision de vouloir vivre, vouloir grandir, se vouloir et s’accepter comme élément physique en lien avec d’autres vivants.
Pour créer le lien, pour entendre ce que l’autre ressent, l’humain a dépassé les caresses, le reniflement des odeurs, le marquage d’un territoire : il s’est donné un langage. Il fallait plus que les cris, les jappements, les pépiements pour maîtriser l’environnement ou en connaître le fonctionnement.
Comment se protéger du froid ou de la chaleur ? Comment se nourrir et boire ? Comment reconnaître, dans l’animal ou le végétal, le comestible ? Sans doute, dans cette quête du comment survivre, il y eut bien des morts et des échecs, qui ont formé la mémoire, puis sont devenus un savoir transmissible.
Dans les contes pour enfant, il y a souvent des allusions à des dragons, à des loups violents, à des animaux surpuissants ils sont la trace mémorielle du combat des anciens car, pour vivre en sécurité sur un territoire, ils ont dû, quoique faibles, éliminer des occupants du genre animal dix ou cent fois plus puissants.
Quand le comment survivre fut assuré, quand un peu de paix eut diminué l’inquiétude, l’humain a pu explorer un autre jardin, plus secret, plus intérieur. Il a pu entendre son propre questionnement : «Pour quoi je veux vivre ?» «Est-ce que mon existence est ordonnée ?» «Est-ce que la vie a un sens (pré)déterminé ?». Autour des feux de veille, les guetteurs devaient chercher, en chacun, un mode d’emploi, une réponse à cette nouvelle inquiétude et la partager. Ne maîtrisant pas encore, par un savoir scientifique éprouvé, le fonctionnement du vivant et les relations de la terre avec les astres, ils ont construit un ensemble de réponses apaisantes. Ils avaient pu tuer les dragons mais ils ne pouvaient pas vaincre le soleil. Ils avaient canalisé l’eau potable mais ne pouvaient vaincre les tempêtes. Ils ont voulu pactiser avec ces forces indomptables. Au désir de vivre en paix et d’être satisfait, postuler que la fin de l’inquiétude viendrait de la soumission au mystère dans la prière et l’adoration semblait une belle réponse. Et ce fut l’engendrement humain des religions, d’un système cohérent et crédible pour vivre ensemble, partager les tâches utiles, habiter et produire le nécessaire vital.
Aujourd’hui
Arrivant en fin de mandat, le président Obama entend faire voter une loi qui donnerait à l’athéisme droit de cité aux Etats-Unis. Dans cette partie du Monde, la richesse est sacrée et le dollar en porte la trace ‘In God we truth’. Il n’est pas d’allocution officielle qui ne se termine par ‘God bless America’, quelle que soit la foi ou la croyance du locuteur. Faut-il considérer comme un progrès qu’enfin, dans cette partie du Monde, dans cette gestion d’un espace habité, l’athée doive bénéficier de la même protection légale que les homosexuels, les transgenres et les minorités ethniques ? Puisque Dieu est improbable, n’est-il acceptable logiquement qu’il puisse être nié ? Faut-il protéger par la loi ceux qui ne croient pas ? Quelle humanité ou quelle conception de l’humain une telle décision politique laisse-t-elle transparaître ? Etre "sans dieu" ne serait pas un droit fondamental et inaliénable… .
Ailleurs, pas loin de nos terres, un homme revendique le droit de figurer en photo d’identité la tête recouverte d’une passoire pour répondre aux exigences de son culte : le pastafarisme. Bien des esprits éclairés se gausseraient de cette foi : un spaghetti géant, passablement enivré, aurait engendré l’Univers, l’alcool le conduisant à bâcler sa tâche avec pour conséquence le chaos de nos existences. Absurde ou provocateur ? Même si cette nouvelle mythologie ne tient pas devant l’explication scientifique actuelle, elle questionne toutes les réponses religieuses sur l’origine du monde. Ce qui pourrait être un canular invite les adeptes ou les pratiquants d’un culte ou d’une religion à questionner leur croyance. N’y aurait-il pas dans la transmission des religions des formes de canulars tout aussi absurdes ? Affirmer que tous les êtres humains descendent d’un seul couple unique (et donc d’incestes successifs), ou que le jardin "Terre" et son peuplement se soit fait en six jours, ne participent-ils pas de la même absurdité ? S’il est possible d’admettre que ces textes anciens témoignent de la quête du sens (pour quoi et comment vivre ensemble), ils ne sont pas des vérités. Ils sont même faux historiquement et scientifiquement et pourtant ils ont aidé à l’émancipation, à la libération de l’humain. Alors…
A l’heure où certains veulent aduler leurs livres de référence et justifier, même a posteriori, tant de massacres au nom des religions, il est nécessaire que l’athéisme existe pour critiquer le langage religieux dans sa volonté d’hégémonie. L’honnête homme qui ne peut postuler l’existence de Dieu n’en est pas moins un semblable, un humain.
Tout qui utilise sa tête pour penser et analyser son vécu peut affirmer qu’en dehors de ce vécu il n’y a rien, tandis qu’un autre, avec la même sincérité, peut opter pour l’improbable et décider que Dieu existe et même penser en mériter la récompense promise. Ces deux humains sont complémentaires. Le premier devra questionner tous les canulars qui font les croyances et pousser l’autre à analyser son discours et le pourquoi de ses certitudes. Le croyant qui n’aurait pas un incroyant à ses côtés serait même en grand danger d’abdiquer sa dignité humaine. Le second, par sa persévérance et son écoute, apprendra à nettoyer son discours. Il devrait arriver à cette conviction, ce sentiment qui ne peut non plus être nié, qu’il est aimé de Dieu gratuitement parce que c’est lui et qu’il est l’Autre, comme il en est du choix personnel de tout partenaire qui génère amour et tendresse. Il se montrera simplement amoureux de Dieu et, en conséquence, frère universel.
L’incroyant est nécessaire au croyant. Il peut aider chacun à se délivrer de « dieu », ce dragon, ce volcan, ce tout-puissant capricieux qu’il faut parvenir, par un culte adéquat, à mettre dans sa poche comme dollars en son portefeuille. Un dieu talisman qui n’est pas un compagnon dans la quête de soi mais un protecteur obligeant. Un Dieu utérin qui n’enfante qu’à moitié et garde sa progéniture à l’abri du méchant, tout en ne lui permettant pas de vivre sans lui. Si les religion disent "dieu", Dieu n’est pas, pour autant, enfermé dans ces discours. Le plus souvent, ils servent les dominants, ceux qui revendiquent pour eux un pouvoir suprême, un pouvoir de vie et de mort. L’inspiration divine prétendue de leur discours religieux ressemblerait à un alibi pour les disculper de régner en maîtres.
L’incroyant est dans l’impossibilité de blasphémer puisqu’il est impossible de porter atteinte à ce qui n’existe pas. Et si, par peur, il reconnaissait le blasphème qui l’incrimine, il cesserait d’être incroyant, ce qu’il ne peut pas faire par honnêteté envers lui-même. Cependant, la rencontre et le dialogue entre celui-qui-croit et celui-qui-ne-croit-pas sont nécessaires à la pacification des esprits, à l’amélioration du comportement humain. Le croyant qui aime et connaît Dieu est souvent très proche de l’incroyant dans son refus du dieu réponse-à-tout, du dieu qui explique et peut tout. Je crois qu’un athéisme sincère et raisonné est nécessaire pour n’éluder aucune question sur le sens de l’existence.