Bulletin Numéro 41 - La bêtise intelligente
LA BÊTISE INTELLIGENTE
Le conformisme des intellectuels en Europe occidentale agace quelques irréductibles.
L’essayiste française Belinda Cannone me paraît faire partie de ceux-ci même si le côté fictif et discursif de l’essai sous la forme de dialogue qu’elle nous propose ne permet pas toujours d’atteindre avec certitude le fond de la pensée de l’auteur.
C’est une loi du genre et il ne faut pas céder trop vite à l’esprit de sérieux pour s’en lamenter.
L’intérêt de La bêtise s’améliore (1) est de bien voir les ravages du politiquement correct et de l’hypocrisie qui celui-ci entraîne.
Elle s’en prend en particulier à la posture des intellectuels à la mode qui dénoncent des censures imaginaires pour se valoriser, tout en étant eux-mêmes les véritables censeurs d’aujourd’hui. Elle vise le politiquement correct, la censure, certains aspects du postmodernisme, un égalitarisme dévoyé.
Un des personnages du livre dénonce le travers qui fait de l’égalitarisme « le désir farouche que l’autre ait aussi peu que soi, au lieu d’essayer d’avoir autant que lui » (p.158).
Conception économique libérale (ajouter néo est un procédé disqualifiant purement irrationnel) me dira-t-on, mais vraie pierre de touche face à l’écologie politique.
On notera aussi une bonne définition du politique correct : « ce que les générations précédentes appelaient moralisme, c’est-à-dire une application sommaire et irréfléchie de la morale qui prévaut » (p.121).
Un des thèmes principaux est la critique de ceux qui disent avoir affaire à la censure aujourd’hui en Europe occidentale.
L’idée générale me semble juste. Au sens qu’avaient autrefois les mots, « il n’y a plus de danger du côté des réacs » (p.61). De la tutelle morale, notamment religieuse, il ne reste en effet rien.
B. Cannone s’en réfère de temps à autre à Philippe Muray, spécialement quand il dit : « La censure "à l’ancienne" depuis longtemps déjà n’est plus une calamité mais une bénédiction pour ceux qu’elle tente d’atteindre » (p.170).
Muray dénonce les défenseurs des minorités comme autant de nouveaux censeurs : « Derrière le paravent commode d’un "ordre mora"’ qui n’existe plus, d’une "hypocrisie puritaine" dont ne survit nulle part le moindre échantillon, les censeurs se sont multipliés ».
Il y a quelque peu à boire et à manger là-dessous.
Philippe Muray est le meilleur et le pire des maîtres. Dénoncer les censeurs postmodernes est louable... à condition de ne pas dissimuler par-dessous la nostalgie des pseudo-valeurs d’autrefois.
Autre ambiguïté de l’auteur, la dénonciation de la prétention des artistes de s’abstraire de certaines règles générales comme l’interdiction de propos racistes ou la protection des mineurs.
Qui peut décider ce qui relève de l’art, relève l’auteur. Mystère évidemment.
Mais B. Cannone veut-elle revenir aux interdits ou relever l’incohérence des artistes qui demandent sans raison une liberté qu’ils se consolent aisément de voir refuser aux autres ?
La bêtise a pris les apparences de l’intelligence. Elle n’a plus besoin de la loi et de l’oppression qu’elle peut exercer.
Tel est le point de vue, sympathique à mes yeux, de B. Cannone. Mais de cela, on peut tirer plusieurs conclusions.
Belinda Cannone n’est pas dupe du présent, mais je me demande parfois si elle l’est tout autant du passé.
Procès d’intention, peut-être.
Patrice Dartevelle
1. Belinda Cannone, La bêtise s’améliore, Collection L’autre pensée, Stock, Paris, 2007, 212 pp. Prix : ± 20,75 euros.