Bulletin Numéro 51 - Authorité/liberté
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AUTORITE/LIBERTE
Un important sondage Ipsos-Cevipol sur les opinions des Français,dont les résultats ont été publiés en janvier (Le Monde du 25 janvier 2013), frappé beaucoup de défenseurs de la liberté. Deux chiffres-clefs, étroitement corrélés, ont, à juste titre, effrayé : 87 % des Français disent qu'il faut un "vrai chef" en France pour "remettre de l'ordre" et 86% disent que l'autorité est une valeur qui est souvent "trop critiquée aujourd'hui".Ces opinions sont mises en lien avec cinq groupes politiques majeurs en France.
Sur a deuxième question, celle de la critique de l'autorité, l'influence des opinions politiques est quasi nulle : elle varie entre 95% pour l'UMP (même l'électorat FN est plus modéré: 84%...comme pour l'électeur PS) et 76% les électeurs du Front de Gauche. Il y a plus de flottement sur la question du "vrai chef" parce que les électeurs PS suivent moins massivement, 70% contre 98 et 97% pour les électeurs UMP et FN.
Le sondage donne d'autres chiffres-choc comme le rejet de l'islam (74% des Français pensent que la religion musulmane n'est pas compatible avec la société française pour 89% qui jugent la religion catholique compatible, ce qui montre bien que l'opposition laïques/catholiques est devenue secondaire).
C'est l'intégrisme religieux qui est visé : 5% des sondés jugent la religion musulmane tolérante et 21% plutôt tolérante (contre 24 et 48% pour la religion catholique-de quoi faire hurler les laïques).On ne peut toutefois transférer si aisément ces chiffres à la Belgique et aux autres pays européens.
D'autres enquêtes, sur ces thèmes liés à ce qui nous occupe montrent qu'aucun autre grand pays européen n'est aussi pessimiste. A la question maintenant traditionnelle "pensez-vous que vos enfants vivront mieux/aussi bien/moins bien que vous, des Français répondent "moins bien" contre 45% des Britanniques ou 53% des Allemands (Le Monde du 7 mai 2013 - enquête Ipsos pour Publicis). Pour une part ces réponses relèvent évidemment du fantasme mais ce fantasme est bel et bien dans les esprits.
Un troisième sondage (Gallup, Le Monde du 22 juin 2013) montre que le fait de vivre en France réduit de 20% la probabilité de se déclarer heureux. En clair, le sentiment du déclin occidental est le plus fort en France.
Celle-ci est le pays qui s'accommode le plus mal de la mondialisation, de l'ouverture des marchés, de l'impuissance ou du démantèlement des Etats-nations, sans doute parce que c'est le pays le plus attaché au rôle de l'Etat centralisateur. Elle est devenue une société de défiance (Yann Algan et Pierre Cahuc, La société de défiance, 2007).La spécificité extrême de la France est réelle, mais même si, selon toute vraisemblance, il faut pour les autres pays éroder sensiblement les chiffres, on n'est pas dans une société très confiante en elle-même, très optimiste, très ouverte. Pour la liberté d'expression, l'hostilité à la critique de l'autorité et le goût d'un chef sont de mauvais augure. Mais, comme toujours, ces sondages bruts sont un peu simplistes. En matière de liberté d’expression, la question en Europe n'est pas celle de la censure du chef ou de l'Etat mais celle de la demande de limitation de liberté par les citoyens eux-mêmes. Le désir du recours au chef peut exprimer naïvement ce désir que l'Etat fasse taire les divergents.
Mais contrairement au passé, on ne voit pas clairement de volonté de s'en prendre aux autres groupes politiques.
Où sont leurs différences réelles ?
L'enquête Ipsos-Cevipol montre d'ailleurs un estompement des oppositions partisanes : on voit des convergences UMP/FN et dans une certaine mesure FN/Front de Gauche (ce qui éclaire bien des débats sur le populisme).
L'opposition à l'islam en tant que religion intolérante, "qui cherche à imposer son mode fonctionnement" peut être ambiguë.
Elle peut servir à masquer une hostilité viscérale à un groupe nouveau, différent, devenu revendicatif tout en se repliant sur lui-même (mais laissons de côté la sornette de l'islamophobie).
Mais c'est aussi pointer là où le bât blesse le plus - et c'est bien visé. On le voit dans la comparaison avec les opinions sur la tolérance de la religion catholique. Il ne s'agit pas d'une hostilité à la religion, à la croyance mais du refus d'accepter des musulmans ce qu'on a réussi à refuser aux catholiques.
Patrice Dartevelle